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Petits enfants, petits delits, grands enfants...

Marie-Aude Barette in Psychanalyse n°14, septembre 2002

 

Dans cet article je viens partager avec vous mon expérience d’enseignante qui m’a amené à réfléchir sur les causes, les conséquences de la perte de l’autorité au niveau de l’école. J’essaye enfin de montrer la nécessité de redonner un cadre structurant aux enfants et de réfléchir aux moyens à mettre en place.

Professeur des écoles en maternelle en classe de moyenne et grande section, mes élèves ont entre 4 et 6 ans. Je travaille au centre ville d’une commune de l’ouest Parisien, dans un milieu bourgeois. Les parents des enfants qui fréquentent cette école sont, pour la plupart, des cadres supérieurs, des officiers de carrière ou en professions libérales.

Néanmoins je constate ces quatre dernières années une dégradation évidente du comportement des enfants. D’avantage d’enfants ne respectent ni les règles de vie (vont et sortent en cours de récréation sans avis de l’enseignant, à toute heure de la journée…), ni les lieux ni les objets (enfants qui s’amusent à jeter des cailloux sur les voitures du parking d’a coté, d’autres qui font des trous dans les murs à coups de pieds, d’autres qui se servent dans les placards de la collations sans demander…) et encore moins les adultes ou leurs camarades (certains vous toisent du regard en faisant le contraire de ce qu’on vient de leur demander avec une ostensible défiance). Petits délits pour petits enfants… si la progression continue y aura t-il grands délits pour ces enfants devenus grands ?

J’évalue actuellement à 95 % mon temps employé à « poser le cadre » pour ces enfants au comportement difficile. J’estime le proportion des enfants ne respectant pas le cadre à 30% des effectifs. Devant ce manque de respect spontané du cadre, j’en viens à faire un travail pédagogique permanent sur le « respect de la règle », avec explications du sens des règles rappels, écrits, sens et valeurs des sanctions pour chaque règle voire contrats individualisés… Néanmoins tous les jours, toutes les séquences, lors de tous les mouvements de groupes, presque tous les instants de classe, font l’objet d’un rappel à l’ordre, qui prend du temps et de l’énergie avec sanctions éventuelles qui créent un climat de tension. Si j’obtiens des résultats, ils ne durent que quelques dizaines de minutes et permettent seulement d’aller péniblement au bout d’une activité d’enseignement déjà très retardée par les « remises en place ». Je constate que ces efforts de restructuration n’ont pas d’effets à long terme. En effet, toute l’année les mêmes manques de respect se représentent pour les mêmes enfants. Je constate qu’au dehors du bénéfice ponctuel (activité pédagogique menée à bout, péniblement et malgré tout très freinée) mes efforts de recadrage n’apportent pas de bénéfices éducatifs. En effet ils n’améliorent pas notablement le comportement de ces enfants.

Je me suis demandé, comme beaucoup de mes collègues, pourquoi et comment nous en sommes arrivés là ?

Voici quelques unes de mes hypothèses :

Le débordement permanent de ces enfants est témoin, soit d’une souffrance, soit d’un manque de structure (ou les deux). Et si la structure apportée par l’école est inefficace, c’est qu’elle ne vient pas en relais de la structure de base qui devrait être apportée initialement par les parents. Comment un cadre qui ne serait pas mis en place à la maison, aurait-il du sens à l’école ? Donc une évidence apparaît : c’est un non sens pour les enfants que ce cadre devant être porté par les parents (le père), le soit par « une institution » (fonction mère) au travers des enseignants. Pour qu’un enfant soit respectueux d’une autorité (cadre référent commun à tous et indiscutable) il faudrait qu’il y ait prévalence de l’action des parents par rapport à celle des enseignants.

Malheureusement je me demande, si nous ne souffrons pas de séquelles « post 68tarde » ou il y a eu souvent amalgame entre autorité et autoritarisme. On constate un complet abandon chez beaucoup d’éducateurs et en particulier chez certains parents, de tout comportement autoritaire qui « pose » un cadre clair et référent. Cette autorité étant défaillante elle n’apporte pas son coté structurant. Le slogan de 68 « il est interdit d’interdire » est-il encore pertinent dans notre société d’aujourd’hui ? Le comportement de ces enfants montre une quête éperdue de structures, et accaparés par cette recherche qui les mobilise, ils sont très peu disponibles pour les apprentissages.

L’attitude générale de « consommateur » dans notre société se montre également pour certains parents à l’égard de l’école. Ils en viennent à être de moins en moins respectueux de l’institution et des enseignants (dénigrement des enseignants et de leur rôle). Ils montrent peu d’engagement personnel dans sa fonction d’apprentissage (pas de relais au niveau des investissements scolaires, pas de concertation, pas de participation active). Pour autant l’attente est grandissante dans les résultats scolaires! Comment l’enfant peut-il respecter une institution auquel les parents n’attribuent aucune valeur ?

Certains parents s’en remettent à l’école pour corriger le comportement débordant de leurs enfants qu’ils n’arrivent parfois pas à gérer eux-mêmes. La plupart ont une attente quant à la structuration du comportement de leurs enfants. L’institution elle même demande aux enseignants de « porter » l’autorité. Mais aussi bien les parents que l’institution n’en donne pas les moyens aux enseignants. Ce sont les parents des enfants les plus débordants qui refusent les sanctions quelles qu’elles soient. L’institution elle même se montre très frileuse quant aux sanctions à mettre en place en cas de problème de comportement et défend peu les enseignants en cas de litige avec les parents. Les instructions officielles restent floues pour les aides éventuelles pour porter le cadre.

Tous ces points montrent à quel point notre travail d’enseignement devient difficile, et crée de réelles souffrances chez certains enseignants, chez certains parents et chez la plupart des enfants.Pour mener à bien cette mission « sous-entendue » mais non vraiment « reconnue », tout en étant implicitement « attendue », que de porter l’autorité auprès des élèves, il faudrait réduire notablement les effectifs, et avoir le soutien des parents et de la hiérarchie dans l’autorisation des sanctions mises en place. Une vraie reconnaissance du métier. Mais avant tout, il faudrait une grande prise de conscience du rôle des parents dans l’éducation de leurs enfants.

Dans le cadre de l’école dans laquelle j’exerce, j’ai proposé, cette année, une concertation parents-enseignants à ce sujet, à laquelle les parents ont été sensibles. Mais au delà de cette concertation, il est apparu une réelle demande de « groupe de paroles pour parents » à l’initiative même de parents qui sont en souffrance dans leur rôle de parent, parfois en constat d’échec… Il s’agit donc bien d’un débat qui dépasse le cadre de l’école, et qui devient un problème de société.

 

Marie-Aude Barette in Psychanalyse n°14, septembre 2002

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